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Samir Kuntar, une éminente figure du Hezbollah, est tué le 19 décembre 2015 dans un raid aérien israélien mené contre un quartier de la capitale syrienne Damas. L’élimination de ce haut cadre de l’organisation terroriste chiite libanaise est considérée comme succès des renseignements. Mais ce qui est important est cette élimination ciblée est légitime au regard du droit. De plus aucun dommage collatéral n’est à enregistrer.

 

 

Ce que dit le droit :

 

Le droit international prévoit un cadre normatif qui régit les éliminations ciblés pour des situations précises.

En temps de paix, le droit d’un gouvernement à utiliser la force létale contre un citoyen, étranger ou non, est (généralement) contraint par le droit national et par le droit international. Un État ne peut pas décider légalement de tuer arbitrairement quelqu’un.

En revanche en temps de guerre, les gouvernements peuvent utiliser la force létale car les contraintes juridiques qui incombent au temps de paix sont changées. Deux traités concernent les conflits armés : les Protocoles I et II additionnels aux Conventions de Genève de 1949, que les États ont négociés de 1974 à 1977 dans le cadre d’une conférence diplomatique internationale. Les Protocoles I et II sont des traités internationaux auxquels la grande majorité des États font partie.

*En l’espèce Israël est en guerre contre la Syrie et le Liban. L’argumentaire développé en droit  international usant des  éliminations ciblées relève de deux paradigmes auquel se réfèrent deux raisonnements juridiques : le “paradigme de paix” et le “paradigme de guerre”.  Étant donné qu’Israël est en guerre par rapport à la Syrie et le Liban, l’État Juif est en droit d’utiliser le “paradigme de guerre”. Dans ce raisonnement, la lutte contre le terrorisme est envisagée comme un conflit armé et l’acte terroriste comme un acte de guerre.

 

Ce que dit le droit :

 

En temps de guerre le droit international humanitaire  offre une protection aux  combattants « légaux » qui ne peuvent pas être poursuivis pour leur participation aux hostilités, aussi longtemps qu’ils respectent le droit international humanitaire. S’ils sont capturés, ils bénéficient du statut de prisonnier de guerre.

 

Par contre le « combattant ennemi illégal » qui participe au conflit, c’est celui qui n’est ni un civil, ni un soldat. Et par conséquent il ne peut pas bénéficier  des avantages de la IVe Convention de Genève de 1949.  Le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève n’accorde aucune protection aux personnes qui participent illégalement aux hostilités.  Il réserve ce statut aux membres des forces armées d’une partie à un conflit armé international au sens du Protocole. Ainsi, le Protocole ne garantit la reconnaissance et la protection qu’aux organisations et aux personnes qui agissent au nom d’un État ou d’une entité soumise au droit international. Les éliminations ciblées sont légitimes au regard du droit car les membres des organisations terroristes ne remplissent pas les conditions pour être considérés comme des combattants.

 

 

* En l’espèce le terroriste Samir Al Kuntar n’est pas un soldat membre ni de l’armée syrienne, ni de l’armée libanaise : ce  Libanais d’origine druze tombe donc la catégorie des « combattants ennemis illégaux » qui participent directement aux hostilités sans y être autorisés. Du point de vue du droit international,  le combattant « illégal »  qui appartient à une organisation reconnue comme terroriste et y est actif peut donc être exécuté, non pas parce qu’il a été jugé coupable d’un crime, mais parce qu’il peut potentiellement tuer.

 

Ce que dit le droit :

 

Les Conventions de Genève de 1949 et le Règlement annexé à la Convention de 1907 de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, excluent les « guerres privées », qu’elles soient menées par des personnes ou des groupes.

Les membres des groupes armés organisés ne bénéficient d’aucun statut spécial en vertu des règles de droit relatives aux conflits armés non internationaux et peuvent faire l’objet de poursuites conformément au droit pénal interne s’ils ont pris part aux hostilités.

Par conséquent, les groupes « terroristes » agissant pour leur propre compte et sans le lien requis avec un État ou une entité similaire sont exclus des protections accordées en droit international.

 

* En l’espèce le Libanais Samir Al Kuntar participe à une guerre privée sur le territoire syrien. De plus il est  membre du Hezbollah qui se trouve sur la liste des entités terroristes selon les résolutions du Conseil de sécurité 1559 (2004) demandant la démilitarisation des milices (dont le Hezbollah) et 1701 (2006) interdisant la contrebande d’armes sur le territoire libanais.

Dans ce raisonnement,  Kuntar est membre  d’un mouvement armé clairement défini, qui est le Hezbollah. Il est donc  considéré comme une cible légale, un combattant, au même titre que dans un conflit “classique”.

Le simple fait de faire allégeance à un groupe terroriste, qui est une partie belligérante d’une guerre privée, donne à Israël le plein droit d’agir contre ce « combattant illégal ». Aucune sommation, aucune tentative d’arrestation ou de capture n’est, en droit, nécessaire avant de tuer un « combattant illégal ». Aucun effort pour minimiser les pertes parmi les combattants illégaux n’est exigé par la loi.

 

Ce que dit le droit :

 

En droit humanitaire international (droit de la guerre), des règles sont définies par le jus in bello, c’est à dire l’ensemble des règles juridiques applicables à la conduite des hostilités.

 

Par exemple, les actes de terrorisme tels que les attaques contre des personnes civiles ou des biens de caractère civil sont interdits sans équivoque selon  le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève. En outre, le traité interdit explicitement les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi une population civile. Il va sans dire que les personnes soupçonnées de perpétrer de tels actes sont passibles de poursuites pénales ou d’élimination.

 

* En l’espèce Al Kuntar est non seulement  responsable de plusieurs  crimes commis à Nahariyya en 1979 (franchissement illégal de frontières, enlèvements et meurtres de civils israéliens) mais aussi de préparation  de nouveaux attentats en 2015 contre des civils israéliens à partir des frontières syriennes. Israël est donc en droit de mener une opération défensive ciblée contre ce « combattant illégal » responsable de ces meurtres.

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L’élimination ciblée : une approche préventive dans la gestion de la menace terroriste

 

Les éliminations ciblées sont donc conformes aux lois de la guerre. Elles  sont une réponse mesurée au terrorisme, qui met l’accent sur les auteurs réels d’attaques menées par des organisations paramilitaires, tout en évitant dans la mesure du possible de faire des victimes innocentes.

C’est pourquoi, en hébreu, on parle d’ailleurs de sikul memukad, littéralement, la « prévention ciblée ».

L’identification des cibles d’assassinats ciblés repose essentiellement sur les services de renseignements (exemple la CIA, le Mossad). En Israël, cette identification est soumise aussi à un contrôle à posteriori.

Les éliminations ciblées ont l’intention manifeste  d’empêcher que soit commis un acte spécifique de violence dans un avenir très proche ou ayant un lien indirect avec plusieurs actes de violence (organisation, planification, recherche de moyens de destruction, etc.), tout ce qui fonde la possibilité que la disparition d’un membre d’une organisation terroriste prévienne des actes similaires dans le futur.

L’armée israélienne conduit ces opérations militaires afin d’empêcher des attaques imminentes quand il n’y a aucun autre moyen envisageable de procéder à une arrestation ou de déjouer ces attaques par d’autres méthodes.

Dans le cas de Samir Kuntar, les médias israéliens rapportent que ce dernier planifiait des attaques terroristes depuis le Golan et qu’il essayait aussi de manipuler les Druzes syriens du Golan contre l’État Juif.

 

Les éliminations ciblées sont de nature à empêcher les attaques contre des cibles  civiles, affaiblir l’efficacité des organisations terroristes et ont un effet dissuasif qui prévient des actes de terrorisme.

 

En ce sens, l’assassinat ciblé serait un moyen de prévention employé en dernier recours après l’échec des options non létales (principalement la capture) et non une punition ou un moyen de représailles pour un attentat qui a déjà eu lieu (1).

L’État hébreu agirait donc en légitime défense avant que la menace ne se concrétise. C’est la différence avec l’assassinat « traditionnel » où l’on tue à des fins politiques.

En neutralisant Al Kuntar, Israël a utilisé la légitime défense, telle que définie à l’article 51 de la Charte des Nations Unies.

Israël prévoit également un cadre normatif national qui régit les éliminations ciblées pour des situations précises.

La Cour suprême d’Israël avait jugé, le 11 décembre 2005, que cette pratique militaire était admissible sous certaines conditions.

 

En dépit du paradigme de guerre, le choix de l’attaque létale n’est pas privilégié selon La Cour suprême d’Israël. Des informations solides et recoupées sur l’identité et l’activité de la personne supposée participer directement aux hostilités sont exigées.       De plus l’individu participant directement aux hostilités ne doit pas être attaqué s’il existe d’autres moyens de l’appréhender. S’il peut être arrêté, détenu et interrogé, ces moyens doivent être privilégiés (2).

 

Cette restriction impose aussi une obligation de précision dans les renseignements obtenus avant la décision d’assassinat, notamment concernant l’identité de la cible. De plus les autorités devraient être en mesure d’expliquer que la menace avérée que représente l’individu ciblé, est imminente et  quelles circonstances ont empêché les moyens non létaux d’être utilisés.

Par ailleurs, la Cour admet la possibilité d’actions en dommages et intérêts par les familles des victimes en cas de dommages collatéraux.

Tout assassinat ciblé n’étant pas dirigé contre une cible militaire légitime reste soumis à l’application de la loi qui impose des restrictions importantes pour cette pratique même dans le cadre d’un conflit. Des circonstances très  restreintes, des mécanismes de vérification et de contrôle sont utilisés pour s’assurer que ces exécutions sont légales.

De plus les attaques ciblées sont moins dommageables envers les populations civiles non-combattantes.

Pour Tsahal les éliminations ciblées sont souvent motivées par le souci d’assurer un meilleur respect du principe de la protection des civils en les encouragent à se tenir aussi loin que possible de la cible.

Le professeur Alan Dershowitz de l’École de droit de l’université Harvard  estime que le ratio de victimes civiles est très faible dans les assassinats ciblés.

 

Les États-Unis en Irak, au Yémen ou en Afghanistan, ont régulièrement recours aux assassinats ciblés contre des chefs terroristes. Mais contrairement aux États-Unis, la pratique des « targeted killing »  israélienne est encadrée juridiquement par la Cour suprême israélienne comme mentionné plus haut.

La nature exacte des preuves requises pour ces assassinats ciblés est secrète car elle implique une collecte de renseignements, des moyens et des décisions opérationnelles classifiés. Toutes les opérations de ce type conduites par le Mossad doivent avoir l’approbation du Premier ministre.

 

Souhail Ftouh

(1) Amos GUIORA, « Targeted killing as active self-defense », presented at the war crimes research symposium : « terrorism on trial » at Case western reserve University school of law, october 8, 2004, pp. 319-334, p. 325

(2) THE SUPREME COURT sitting as the HIGH COURT OF JUSTICE, The Public Committee against Torture in Israel, 11/12/2005 disponible sur : court.gov.il/files_eng/02/690/007/a34/02007690.a34.pdf

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