Professeur d’anglais à l’université (et blogueuse), Lina Ben Mhenni est une militante tunisienne du web à travers son blog ‘‘A Tunisian Girl’’ qui a été deux fois récompensé.

Cette jeune femme tunisienne incarne le courage et la détermination des jeunes qui se sont battus, certains au prix de leur vie, pour la liberté.Aujourd’hui elle lutte contre la montée des islamistes du mouvement Ennahdha.

Lina Ben Mhenni a reçu en avril 2011 l’International Blog Awards (le prix de la meilleure blogueuse) décerné par la Deutsche Welle, aux militants des droits de l’Homme et de la liberté de la presse et d’expression.

Lina Ben Mhenni a obtenu aussi le Grand Prix 2011 du World e.gov Forum. Le Grand Prix du World e.gov Forum est traditionnellement décerné à une personnalité pour son action sur Internet en faveur de la démocratie et des droits de l’homme. Pour rappel, le Prix 2010 a été remis, l’année précédente, à Hossein Derakhshan (« The Blogfather »), journaliste-blogueur iranien condamné à 19 années de prison.

Notre chère blogueuse nationale a fait un interview , très courageux, à un journal Suisse en ligne pour dénoncer le nouveau despotisme qui vient de s’installer en Tunisie au nom de l’islam et commençant par l’exclusion et la marginalisation des femmes.

Lina Ben Mhenni, 28 ans ne reconnaît plus « sa » révolution . La jeune blogueuse n’a pas ménagé sa peine pour dénoncer les islamistes.

« Les islamistes sont venus voler notre révolution. Ils ont confisqué la révolution. Mais les Tunisiennes ne se laisseront pas faire »

Nous pouvons lire ci dessous dans son témoignage .

Elle assure que : « Les gens qui ont renversé Ben Ali pourront renverser une nouvelle dictature. Elle dit aussi que « Les gens d’Ennahda veulent interpréter les textes sacrés comme ils le veulent » .

Elle dénonce ces nouveaux barbus à la tète de l’État tunisien soit-disant démocratique « Oui, et puis ils sont soutenus par des pays étrangers. Les États-Unis jouent le jeu d’un islam modéré, sur le modèle de la Turquie. Mais cette histoire d’islam modéré, je n’y crois pas. » dénonce la jeune blogueuse Lina.

Elle avoue au journaliste suisse : »Oui, je suis musulmane, croyante mais pas pratiquante. » Elle elle ajoute courageusement :

« Je ne porterai jamais le voile! C’est le symbole de la soumission… »

Lina, qui a été pressentie pour recevoir le prix Nobel cette année, a dit dans la fin se son interview : « je me suis sentie soulagée quand je n’ai pas eu le prix. » .

Elle a raison la jeune blogueuse libérale . Ce Prix est allé en effet à une femme voilée et soumise au Yémen.

Ftouh Souhail , Tunis

Lire l’intégralité de cet interview de Lina ben Mhenni :

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Par Robert Habel – Mis en ligne le 02.11.2011 sur Illustre.ch

La victoire des islamistes, c’est une douche froide pour vous?

Je m’y attendais et, d’ailleurs, j’ai boycotté cette élection pour plusieurs raisons, à commencer par la présence de partis reconstitués du RCD, le parti de Ben Ali. La révolution devait correspondre à une rupture totale avec le passé; or, cette rupture n’a pas eu lieu: les rcdistes n’ont pas été poursuivis, ils ont constitué de nouveaux partis ou ils se sont infiltrés dans d’autres partis, dont Ennahda. Le leader d’Ennahda, Ghannouchi, a dit que son parti acceptait les rcdistes propres, comme s’il pouvait y avoir des gens propres dans l’ancien parti de la dictature. En participant à ces élections, j’aurais donné de la légitimité à ces gens.
Mais les islamistes ont gagné.

Pour les gens, Ennahda, c’est le parti de Dieu, de la religion. Donc, pour eux, couper avec le passé, c’était retourner vers la religion, élire un parti religieux, islamiste. En plus, Ennahda est un parti bien organisé, il a dépensé beaucoup d’argent, il a acheté des voix, il a fait de la manipulation…

La révolution menée au nom des libertés va déboucher sur l’islamisme?

C’est un risque, malheureusement! Mais la majorité des électeurs d’Ennahda n’a pas adhéré à ce parti pour son programme. Ennahda a promis par exemple de créer 600 000 postes de travail en deux ans. (Rire.) On verra s’il y arrive…

Leur vrai programme, c’est la charia, c’est la suppression des droits des femmes, etc.
Leur discours est ambigu, mais il est dirigé d’abord contre les femmes. Leur candidate emblématique est une femme non voilée, qui se dit indépendante. On propose son nom pour la présidence de l’Assemblée constituante. C’est un piège! Elle a déjà commencé par parler des boîtes de nuit: elle dit qu’elle veut les conserver, mais en changeant les règles. Elle dit que les boîtes de nuit sont des endroits où il n’y a pas de morale et elle sousentend qu’elles pourraient être réservées aux touristes. C’est grave de la part d’une femme qui a toujours vécu dans un pays touristique et qui sait que les jeunes Tunisiens sont des jeunes libres. Un autre responsable islamiste parle d’interdire la mixité à l’école, c’est effrayant, on va retourner plusieurs siècles en arrière.

Les islamistes parlent aussi d’interdire l’alcool.

Ils sont dans une logique d’interdiction. Ce sont des obscurantistes et ils risquent d’utiliser la violence pour imposer leur loi. C’est très dangereux. Ils vont le faire de manière intelligente, par étapes, prudemment, mais ils vont le faire. Les libertés sont menacées: on sent déjà de la tension dans la rue. Des filles sont harcelées parce qu’elles ne portent pas le voile. Elles sont en jean et en T-shirt, et des gens les prennent à partie en leur disant: «Tu es nue, va t’habiller!»

On vous a déjà agressée parce que vous ne portez pas le voile?

Moi non, mais plusieurs de mes amies l’ont été.
Si le voile devient obligatoire, vous serez obligée de le porter.
Jamais! Je ne porterai jamais le voile! C’est le symbole de la soumission de la femme et je ne le mettrai jamais. Ils pourront me tuer et je suis prête à mourir, mais je défendrai ma liberté jusqu’au bout.

Vous êtes croyante?

Oui, je suis musulmane, croyante mais pas pratiquante.

Les femmes sont les premières visées, aujourd’hui.

Oui, tous les droits qu’on a obtenus avec le Code du statut personnel, promulgué par Bourguiba il y a cinquante ans, sont aujourd’hui en danger. Et ça me fait peur! Quand les Tunisiens ont fait la révolution, c’était pour avoir davantage de libertés et, là, on se retrouve dans une impasse. Les islamistes sont venus voler notre révolution. Ils ont confisqué la révolution. Mais les Tunisiennes ne se laisseront pas faire: il y a 24% de femmes élues dans l’Assemblée constituante.

Vous ne commencez pas à regretter le régime de Ben Ali?

Non, je ne le regretterai jamais. Ben Ali devait partir, mais son système est toujours en place. On n’a pas mené cette révolution jusqu’au bout. Il aurait fallu exclure les collaborateurs de Ben Ali de la vie politique, ce qui n’a pas été fait. Ils ont gardé le monopole des ministères, comme le Ministère de l’intérieur, ils ont la main sur les médias, sur les juges…

Les islamistes veulent rétablir la polygamie?

Oui, Ghannouchi a déclaré qu’il n’allait pas interdire la polygamie. C’est grave, c’est très grave. La Tunisie était un exemple pour les autres pays arabes, et maintenant elle risque d’être l’exemple de la régression. Je suis désespérée, mais je ne baisse pas les bras. Je me sentais étrangère dans mon propre pays sous Ben Ali, j’espère que je ne vais pas me sentir de nouveau étrangère chez moi sous une dictature islamique.

Etes-vous de nouveau surveillée et suivie dans la rue, comme sous Ben Ali?

Ces derniers jours, oui. Depuis que j’ai déclaré que je boycottais les élections, j’ai eu trois jours horribles où je revoyais devant chez moi les mêmes voitures, les mêmes indicateurs. Ils ont disparu quand j’ai commencé à parler de cela sur Facebook et à la télévision. Et puis, de toute façon, mon téléphone est sur écoute.

Vous craignez pour votre sécurité?

Oui, j’ai peur, c’est normal. Mais en même temps j’assume. Je suis pour la vraie liberté, pas celle des islamistes. Je crois que chacun est libre de sa vie, de sa religion, de ses croyances.

La vague de fond islamiste semble si large et si puissante qu’il va être difficile de l’arrêter.
Oui, et puis ils sont soutenus par des pays étrangers. Les Etats-Unis jouent le jeu d’un islam modéré, sur le modèle de la Turquie. Mais cette histoire d’islam modéré, je n’y crois pas. Je pense que la religion, c’est spirituel, c’est entre l’individu et Dieu. Les gens d’Ennahda veulent interpréter les textes sacrés comme ils le veulent, ils veulent donner des interprétations qui conviennent le plus à leur programme.

Vous ne regrettez pas la chute de Ben Ali ou de Kadhafi?

Je ne peux pas parler pour les Libyens, mais en tout cas, en Tunisie, je ne regretterai jamais le renversement de Ben Ali. C’était un dictateur. En Libye, quand je vois les déclarations de Jibril qui veut rétablir la charia et la polygamie, je me dis que c’est catastrophique. Ces gens sont des malades.

Mais Ben Ali respectait les droits des femmes.

Ça faisait partie de sa propagande. C’est vrai qu’il respectait les droits des femmes, mais il n’a pas respecté les islamistes qui ont été torturés. C’étaient aussi des Tunisiens, c’étaient aussi des êtres humains et ils ont subi la répression, eux aussi. Une dictature, c’est une dictature, il n’y a pas de différence pour moi. Les gens qui ont renversé Ben Ali pourront renverser une nouvelle dictature. Je me considère désormais comme une éternelle opposante! (Rire.)

La contestation continue aujourd’hui en Syrie. Faut-il renverser Assad ou le considérer comme un rempart contre l’islamisme?

Il faut le renverser! C’est un dictateur!

Donc, on va mettre au pouvoir un nouveau régime islamique?

C’est au peuple de choisir! Toute dictature doit être renversée. Ben Ali nous a massacrés pendant vingt-trois ans parce qu’il s’est présenté comme un rempart contre l’islamisme. Ce n’était pas une raison pour le garder.

Ce n’était pas un moindre mal?

Non! Il fallait se débarrasser de cette dictature et continuer ensuite la bataille contre toute forme de dictature. On a renversé Ben Ali et, si nécessaire, il faudra continuer la bataille. Même si Che Guevara n’est pas un bon exemple parce qu’il a été lui aussi sanguinaire et que je suis contre toute violence, je pense comme lui qu’un révolutionnaire ne démissionne jamais. Même si je ne peux profiter demain de la liberté qu’on a conquise, ce sera pour les générations suivantes.

Comment voyez-vous votre action dans les semaines qui viennent?

Je vais continuer à vivre normalement, à écrire, à bloguer, à travailler. Mais, s’il faut mobiliser les gens ou ressortir dans la rue, je serai présente.


Vous avez été nommée pour le prix Nobel de la paix, mais vous ne l’avez pas obtenu. Etes-vous déçue?

Non, pas du tout! Quand j’ai commencé ma bataille, ce n’était pas pour avoir des prix. C’était pour la liberté! Quand je vois maintenant que les gens m’arrêtent dans la rue pour m’embrasser et me dire qu’ils sont fiers de moi, c’est plus extraordinaire que tous les prix du monde. Quand j’ai commencé à écrire, je m’attendais à être arrêtée, emprisonnée, torturée, je ne m’attendais pas à des prix. Et puis, pendant toute la semaine où mon nom circulait pour le prix Nobel, j’ai été attaquée sur Facebook par des islamistes, j’ai été harcelée par les médias, je n’avais plus le temps de manger et de dormir. J’ai failli faire une dépression. Donc, je me suis sentie soulagée quand je n’ai pas eu le prix.

Ça n’aurait pas été une certaine protection pour la suite?

Je me sens déjà protégée un peu, car je suis médiatisée. Je suis heureuse aussi, parce qu’on a inspiré le monde entier. Dans le monde arabe, le courant islamiste a confisqué la révolution, mais quand on voit ce qui s’est passé en Espagne, en Grèce, en Géorgie, aux Etats-Unis, on a été le point de départ de certains mouvements révolutionnaires. Et ça, ça me donne de l’espoir. Avec Ben Ali, j’étais une personne qui dérangeait et aujourd’hui je continue à être une personne qui dérange. Mais moi, ça ne me dérange pas! (Rire.)

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