Au fil du temps, le jour de la Nakba (littéralement « jour de la catastrophe ») est devenu le rituel le plus actif du mythe palestinien, un mythe qui s’est assuré le soutien le plus essentiel de l’Occident, un rituel qui provoque la haine suscitée dans tout le monde musulman.
Chaque année, il fait renaître un flot de littérature ou, pour le dire plus crûment, de mensonges.
Derrière l’exode de la population arabe de la Palestine mandataire lors de la guerre de 1948, que ce rituel commémore chaque année, se cache la véritable guerre d’extermination lancée par de nombreux pays arabes contre les Juifs du jeune État d’Israël. Les Palestiniens étaient les alliés de ces pays, et un grand nombre d’entre eux sont partis pour assister de loin, en toute sécurité, au massacre proclamé des Juifs, efficacement exécuté par les armées arabes. Ils s’attendaient alors à avoir la chance de s’emparer du butin après la victoire que leur camp prévoyait.
La défaite de leurs armées et leur échec politique à s’opposer au partage de la Palestine mandataire sont ainsi réécrits, avec la Nakba, comme une injustice choquante et congénitale dont ils sont les victimes. Cette injustice est liée à l’existence même d’Israël qui, pour exister, aurait dépossédé un peuple innocent de sa terre pour prendre sa place. Les agresseurs palestiniens sont devenus les victimes. L’extermination des autres devient apitoiement et compassion.
Cette image simpliste, en termes purement idéologiques, est devenue le cadre décisif de l’antisionisme, à travers lequel certains justifient la notion de « péché originel d’Israël », terme quasi théologique. Cette justification dominante, objectivement et moralement, a contribué à faire de l' »antisionisme » une nouvelle forme d’antisémitisme. La description de la nature supposée de l’État juif est similaire à celle de Jew Süss, le film que la propagande nazie a produit pour renforcer la haine des Juifs et fournir une justification morale et émotionnelle au traitement que les nazis leur réservaient.
L’histoire de la « Palestine »
Il convient d’examiner les fondements concrets des idées que nous avons évoquées. La notion de « remplacement » de la Palestine par Israël, des Palestiniens par les Juifs sur le territoire de la Palestine, implique une géographie symbolique. La Palestine mandataire, cadre dans lequel se déroule cette histoire, est une catégorie politique créée par la Société des Nations sur la base du droit international de la puissance coloniale britannique sur ce territoire, qui avait été alloué pour la création d’une « patrie juive ». Avant le mandat britannique, ce territoire faisait partie de l’Empire ottoman et la « Palestine » n’était ni une entité géographique ni une entité politique.1 En outre, la population qui s’y trouvait n’était pas totalement « indigène ». À la fin du XIXe siècle, des Arabes de tous les pays de l’Empire ottoman ont migré vers le territoire, attirés par le pôle économique créé par les Juifs. Tout au long de leur longue histoire de dispersion, les Juifs sont revenus par vagues sur la terre de leurs ancêtres. De même, Yasser Arafat et Edward Saïd, par exemple, n’étaient pas des Palestiniens mais des Égyptiens, bien qu’ils fussent Arabes et musulmans (ce qui est en fait la définition objective des Palestiniens). Avant l’Empire ottoman, il n’y avait pas de « Palestiniens ».
Cependant, l’Empire arabe lui-même, au VIIe siècle, est né de l’invasion des terres par les armées djihadistes venues d’Arabie. Avant l’empire arabe, il y avait un empire byzantin, chrétien, issu de l’empire romain. Les Arabes sont donc des envahisseurs qui imposent la soumission ou la conversion aux populations chrétiennes et juives autochtones. Avant l’Empire romain, puis byzantin, il existait un territoire plus ou moins autonome, un royaume juif, qui était celui du deuxième État juif. Après l’écrasement de la révolte de Bar Kochba par les armées romaines, l’empereur Hadrien tente d’effacer la mémoire de la nation juive en rebaptisant le pays du nom des ennemis historiques des Hébreux, les Philistins. Palestine (ou Falastin, en arabe) est une corruption en langue arabe du terme romain désignant les Philistins. Les Philistins étaient un peuple venu des îles grecques et qui a envahi la côte méditerranéenne au sud d’Israël. Il est important de noter que la racine du mot hébreu pour Philistin signifie « envahir » ; Palestinien est un dérivé du mot Philistin….
La notion d' »autochtonie » du peuple palestinien est donc une option facile en termes historiques. Il est nécessaire de connaître la date dans l’histoire à partir de laquelle une nation est considérée comme « indigène » (c’est-à-dire native de la terre). Il y a toujours quelqu’un d’autre qui est arrivé le premier ! Pour les Palestiniens, l’enjeu principal n’est pas une question de géographie « nationale », destinée à faire partie de la galerie d’opposition au colonialisme européen, mais une question de principes de la religion musulmane à l’égard des juifs et du judaïsme. Selon ces principes, l’existence des Juifs est illégitime s’ils ne se soumettent pas à la religion musulmane.
La deuxième phase du mythe de la Nakba
Cet article se penche sur la géographie politique qui a suivi la guerre des six jours, une guerre qui, rappelons-le, a été provoquée par les mêmes pays arabes qui avaient déclenché la guerre d’indépendance en 1948. Cette fois, elle s’est accompagnée d’attaques terroristes de l’OLP contre des civils israéliens. Au cours de cette période, c’est l’OLP qui a inventé le terrorisme islamique moderne, avec les détournements d’avions comme méthode la plus spectaculaire, annonçant la destruction des tours jumelles de New York. C’est à ce stade, après 1967, que les Arabes de Palestine ont été présentés comme des « Palestiniens ». Rappelons que pour l’essentiel, pendant le mandat britannique, les Juifs étaient appelés « Palestiniens ». Cependant, après la victoire d’Israël sur ses ennemis en 1967, les Juifs sont devenus des « Israéliens » tandis que les Arabes de Palestine – qui ne constituent en aucun cas une entité « nationale » – sont d’abord devenus des « Palestiniens ». Les membres de la « nation arabe » (voir ce point dans la charte de l’OLP) sont devenus « Palestiniens », avec une réécriture de l’histoire remontant jusqu’aux Cananéens de la Bible (et Jésus n’était-il pas un « Palestinien » ?).
Ce qui s’est produit en 1967, après la seconde défaite arabe, est une mutation du mythe de la Nakba. Les Arabes de Palestine sont redevenus une nation colonisée sur le territoire occupé par Israël, qui est devenu à ce moment précis la « Cisjordanie », un terme qui n’existait pas auparavant. Les « terroristes » deviennent la « résistance », face à une puissance coloniale qui occupe leur territoire où ils vivent depuis des temps immémoriaux.
Cette mutation est destinée à servir les prémisses de l’anticolonialisme en conférant un second aspect de légitimité aux actions de l’OLP (ainsi que la légitimité supposée découlant de l’exode palestinien). L’avantage international de cette approche est double. Dans ce format, l’OLP ne contesterait donc plus l’existence d’Israël (ce qui serait – dans le meilleur des cas ! – ),2 mais seulement son contrôle sur la « Cisjordanie », la seule terre qu’Israël « occupe ». (En contrepartie, Israël blanchirait son existence dans ces mêmes territoires et accréditerait l’idée d’une « restitution « 3 de ces terres, obtenant ainsi enfin une reconnaissance).
Ce bluff a été proposé et mis en œuvre à l’origine par l’Union soviétique, qui s’est servie de l’anticolonialisme pour avancer ses pions au sein du tiers-monde contre le monde libre. N’oublions pas la résolution de l’ONU « Le sionisme est un racisme » dont elle est à l’origine en 1975, ni le témoignage de l’ancien espion communiste Ion Mihai Pacepa sur l’encouragement soviétique, via la Roumanie de Ceau?escu dès le début des années 1960, de la cause palestinienne afin de l’aligner sur la cause « anticolonialiste ».
Cette nouvelle version du mythe s’est donc effectivement inscrite dans l’idéologie de la gauche occidentale (les « idiots utiles » de l’influence sociale, selon l’expression de Lénine lui-même), et surtout, elle a gagné la gauche israélienne. Cela a créé, sans aucun fondement, une foi dans la notion de « paix » par opposition au territoire (une formulation islamique typique dans le contexte du djihad).4 Après la chute de l’Union soviétique, cette notion est devenue la doctrine de l’Union européenne, comme le confirment sur la scène internationale ses votes systématiquement pro-palestiniens. De la même manière que l’Union soviétique a été à l’origine du vote « le sionisme est un racisme », délégitimant essentiellement l’existence d’Israël, l’Europe, menée par la France, a voté aux côtés de la « Palestine » sur une série de résolutions de l’UNESCO promouvant la délégitimation historique systématique de l’État d’Israël et du peuple juif en termes d’histoire ancienne de la Terre d’Israël.
Dans la lignée de ce courant « anticolonialiste », la nouvelle version du mythe a inspiré une nouvelle réécriture de l’histoire. En effet, après 1948, les « territoires disputés » ont subi une occupation et une double annexion, jordanienne (Cisjordanie) et égyptienne (Gaza). Ces deux occupations ont été considérées comme légitimes par le système international, qui n’en a rien fait, mais aussi par le prétendu « peuple palestinien », qui ne s’est pas rebellé et a considéré comme normal d’être occupé par des pays arabes. Tout simplement parce qu’il n’avait pas de mémoire « nationale » autre qu’arabo-musulmane5, ce qui l’a poussé (notamment l’OLP) à devenir le porte-drapeau de la « nation arabe », puis de l’oumma, contre « l’impérialisme » occidental.
Cependant, l’aspect le plus important de la falsification est la notion de « territoires occupés » de la Cisjordanie. Il convient tout d’abord de clarifier la terminologie et la réalité politique. Avant que la Jordanie n’entre en guerre en 1948, elle s’appelait la Transjordanie. C’est un État illégitime, illégal au regard du droit international, car il a été fondé lorsqu’il a été détaché de la Palestine mandataire pour dédommager la dynastie hachémite, alliée de l’Empire britannique. Les Britanniques, qui étaient la puissance mandataire, n’avaient pas le droit de prendre cette mesure. Ce territoire a donc été retiré de la Palestine mandataire et de la partition entre un « État juif » et un « État arabe » (conformément à la résolution de l’ONU du 29 novembre 1947, qui proposait la partition mais qui a été rejetée par les Arabes). En réalité, la Jordanie était l’État arabe qui aurait dû être créé par la partition. Elle était objectivement déjà, ce jour-là, un pays arabe sur le territoire légal de la Palestine mandataire. Le problème est qu’elle a été confiée à une puissance non palestinienne, alors que la majorité de sa population (75 %) est palestinienne. Cette réalité est apparue lors d’un épisode de violence inter-musulmane grave lorsque, en 1970-71, les Bédouins de la dynastie hachémite se sont distingués ethniquement des autres Arabes. Cet épisode a culminé avec le « Septembre noir », une révolte et un coup d’État palestinien qui ont ensuite débouché sur une terrible guerre civile. Au point que l’OLP et ses dirigeants ont été exilés par la France ( !) à Tunis, comme si la France (de Mitterrand) cherchait à entretenir le conflit du Moyen-Orient.
En 1948, ce pays prédateur qu’est la Jordanie, en guerre contre le nouvel État juif, a envahi les territoires connus historiquement sous le nom de Judée et de Samarie et les a annexés. C’est ainsi qu’une nouvelle entité a été inventée, la « Jordanie », unification de la « Cisjordanie » et de l’ancienne « Transjordanie ». Personne n’a jamais reproché à la Jordanie d’avoir occupé illégalement la terre, mais on ne peut pas accuser Israël d’avoir « occupé » un territoire qui était déjà occupé et qui avait été rejeté, dans le cadre d’un partage de la Palestine mandataire, par les Arabes qui n’étaient pas encore des « Palestiniens ».
C’est ainsi que le « peuple palestinien » a été perçu comme le peuple autochtone du territoire de la Cisjordanie. La gauche occidentale et israélienne a adopté ce subterfuge et l’a renforcé en accusant Israël de colonialisme et en exigeant qu’il renonce aux « territoires occupés », ignorant le fait que l’OLP considère toute la Palestine mandataire comme « occupée « 6 (accréditant ainsi une position considérée comme « morale » et « légale » puisqu’elle suppose implicitement que l’Israël d’avant 1967 est légitime). Pendant ce temps, l’entreprise d’extermination des Juifs et de destruction de l’État, toujours la même, comme nous l’avons vu sous l’Autorité palestinienne, a été qualifiée de « résistance ».
De plus, on peut être sûr que si un Etat était créé un jour en Cisjordanie, l’irrédentisme qu’il susciterait électriserait les Palestiniens du monde entier ; ils renverseraient le royaume jordanien et provoqueraient, dans un deuxième temps, un soulèvement des Arabes israéliens. Ces trois groupes de population chercheraient irrésistiblement à se réunir entre eux. Tout cela en dehors du cas de Gaza, dont on peut se demander si, parce qu’elle est coupée de la Cisjordanie par le territoire israélien, elle ne deviendrait pas, comme Dantzig dans le passé, la cause d’une guerre mondiale. En effet, l’objectif du « peuple palestinien », issu de la propagande communiste, est de dominer toute la Palestine mandataire.
La troisième étape du mythe
Ainsi, un enchevêtrement complexe de représentations s’est constitué autour du rituel de la Nakba. Il manipule non seulement les faits géographiques et politiques, mais aussi et surtout le contenu émotionnel qui peut toucher l’Occident au plus profond, car ce mythe est avant tout destiné à l’Occident. Le terme même de Nakba est une traduction évidente de Shoah, qui signifie « catastrophe », et il tire son impact émotionnel du fait qu’il accuse les victimes de devenir les bourreaux, de sorte que les nouvelles « victimes » palestiniennes ont pris la place des victimes du nazisme, les détenteurs de la mémoire de l’Holocauste. Cela reprend exactement la formule d’Edward Said : « Les Palestiniens sont les victimes des victimes ».
Les accusations de nazisme et de racisme israélien s’ajoutent donc à l’accusation de colonialisme. Toutes ces accusations n’en font qu’une et en impliquent une troisième, à savoir que les Israéliens (dont la seule légitimité serait d’être liés à l’Holocauste) sont des « Occidentaux » et donc étrangers à la région. Ce qui renforce doublement leur aspect « colonial ». Poussant le mensonge encore plus loin, les Palestiniens affirment que ce sont les Juifs (en tant qu’héritiers légitimes du statut discriminatoire des non-musulmans en vertu de la charia) qui sont une religion mais ne sont ni une nation ni un peuple, et n’ont donc pas droit à un État ou à l’autodétermination. Tous ces éléments reposent sur l’accusation d’apartheid rappelant l’Afrique du Sud, qui est un crime contre l’humanité au même titre que le nazisme.
En manipulant la sensibilité et le sentiment de culpabilité de l’Occident, les Palestiniens se sont non seulement fait connaître comme des victimes, mais ils offrent également aux Occidentaux une réaction différée par rapport à l’extermination des Juifs par les nazis, se libérant ainsi de toute responsabilité. Les Occidentaux peuvent désormais dénoncer les descendants des victimes en les accusant des mêmes atrocités que les nazis et les Européens de l’époque. Ils atteignent ainsi deux objectifs à la fois : L’Europe nazie devient effectivement l’Europe coloniale, et honorer la mémoire de l’Holocauste devient, par cette manipulation, une occasion de condamner le racisme – l’apartheid – des Israéliens à l’égard des Palestiniens et de les accuser de colonialisme (occidental) du même type que le nazisme. Les anciens colonisés deviennent ainsi les héritiers de la mémoire de l’Holocauste par le biais de leurs revendications contre l’Occident. Cette astuce a fait son chemin dans les idéologies du postcolonialisme et de la décolonisation.7 Lorsque le président Macron dénonce les crimes contre l’humanité de la France coloniale en Algérie, il suit la même tendance.
C’est la troisième étape du mythe. En effet, ce n’est pas seulement le colonialisme (deuxième étape) qui est la cible de la gauche, mais aussi les droits de l’homme – et leur revers, le racisme. La première étape postule une injustice historique qui fait des Palestiniens les victimes de la création de l’État juif : un peuple innocent – dont la culture a d’ailleurs toujours été accueillante pour les Juifs – a été chassé de sa terre par des intrus qui l’avaient reçue d’une Europe coupable en compensation du génocide des Juifs qu’elle avait perpétré, et dont on se déchargeait sur les Palestiniens pour l’exonérer de sa responsabilité. Telle est la doctrine du « péché originel » sur laquelle repose cette idéologie.
En outre, parallèlement à cette manipulation centrée sur la victimisation des Palestiniens, il existe une dimension plus subliminale de la politique de la Nakba, à savoir la dimension théologico-politique. En effet, il y a (ou il y avait…) des chrétiens parmi les Arabes de Palestine. Dès le début, ils ont agi en tant que « représentants » des Palestiniens dans les contacts avec l’Occident. Notamment, l’Institut Sabeel, soutenu par l’Eglise luthérienne américaine, a reformulé la théologie paulinienne du remplacement de manière à diviser la notion d’Israël en deux entités : juive d’une part, non-juive d’autre part : Juifs d’une part, non-Juifs d’autre part (le « nouvel » Israël). Ce dernier concept est destiné à supplanter le premier, un peu comme le bien supplante le mal. L’implication claire est qu’en Palestine, il y a deux peuples sur une seule terre dans laquelle un seul peuple peut légitimement vivre – ce qui en fait le nouvel Israël palestinien. Les affaires de la « sainte famille » sont ainsi réécrites, décrivant « Jésus le Palestinien », les persécutions menées par Hérode, etc. d’une manière qui touche les sensibilités chrétiennes, sans se rapporter à la nouvelle réalité israélienne. Ainsi, la doctrine, surtout chez les chrétiens qui se veulent « progressistes », conserve un résidu antijuif. Les « catholiques de gauche » (ou « progressistes ») sont donc devenus un milieu favorable à l’antisionisme (paulinien, moderne).
Là encore, les Palestiniens donnent aux Occidentaux de quoi apaiser « moralement » leur conscience, aux dépens d’Israël, tout en s’opposant à l’antisémitisme et à l’antisionisme, voire en étant « pro-sémite…. » Les pèlerinages chrétiens en Terre Sainte sont une illustration vivante de ce point de vue. Hormis l’aéroport Ben-Gourion à leur arrivée, les groupes de pèlerins ne visitent jamais Israël et restent presque entièrement dans les « territoires occupés ». Ils ne veulent rien savoir du concept d’Israël moderne en tant qu' »État juif ». Les chrétiens du nouveau monde, les évangélistes, constituent la seule exception.
Répression absolue
Dans ce tableau complexe, un élément historique essentiel est toujours absent, alors qu’il constitue à lui seul un défi vivant à la manipulation palestinienne de l’histoire. Si environ 600 000 Palestiniens ont été déplacés vers des États arabes (qui avaient déclaré la guerre à Israël), après les avoir quittés ou en avoir été chassés (en temps de guerre !), environ 900 000 Juifs ont été spoliés et chassés de 11 pays musulmans. Ils n’ont pas de droits inférieurs à ceux des Palestiniens parce qu’ils sont juifs. Ils faisaient partie des populations locales lors des invasions islamiques du VIIe siècle et ont été transformés en étrangers dans les pays où ils vivaient. Leur départ et le choc de leur déplacement ne datent pas de la création d’Israël mais bien avant, depuis le début du 19ème siècle lorsque les peuples opprimés de l’Islam (Grecs, Arméniens, Chrétiens du Liban, etc.) ont commencé à cultiver des projets de libération nationale dans l’Empire ottoman en déclin. Ces projets se sont terminés dans le sang, sauf pour les Grecs qui avaient déjà gagné leur indépendance en 1827 dans les Balkans sous domination ottomane. Le sionisme s’inscrit dans ces mouvements bien avant la création de l’État. Il est né dans le monde séfarade, où le rabbin Yehuda Alkalay de Sarajevo, qui vivait dans les Balkans alors qu’ils s’émancipaient des Turcs, a inventé l’entreprise sioniste avant Herzl.
Cette histoire est restée le grand secret du récit israélien et, bien sûr, la principale dissimulation du récit palestinien, puisque ce dernier ne peut pas prétendre avec exactitude que les Israéliens sont des étrangers venus d’Europe à cause d’un génocide européen. Non, les Sépharades, majoritaires dans la population israélienne depuis les années 1950, viennent du même monde que les Palestiniens en vertu d’une persécution perpétrée par les Etats arabo-musulmans eux-mêmes.8 Les Palestiniens ont été les complices actifs de ces persécutions depuis les pogroms de 1928 en Palestine mandataire sous la houlette du Mufti de Jérusalem. Tant dans le monde arabo-musulman (en tant que leader du nationalisme arabe et non « palestinien ») que dans le monde européen (en tant que dignitaire nazi et fondateur d’un corps SS composé de musulmans dans les Balkans), le mufti a activement poursuivi l’extermination des Juifs en Europe et activement préparé celle des Juifs du Moyen-Orient. Cette dernière entreprise a échoué en raison de la défaite nazie à El Alamein en Egypte ; les plans de construction de fours crématoires dans la vallée de Dothan en Samarie avaient été élaborés.
Cette principale occultation, le « refoulé » du conflit moyen-oriental, pose une question qui reste sans réponse : Pourquoi les dirigeants israéliens ont-ils banni cette histoire du corpus de la légitimité de l’Etat d’Israël ? Qu’est-ce que cela révèle de son rapport à sa propre légitimité ? La question des Juifs des pays arabes et musulmans, comme celle des Juifs d’Europe, est une question politique et nationale et pas seulement victimaire. Pourquoi les dirigeants israéliens ont-ils exclu de la définition de la nation israélienne cette population et cette histoire ? S’agissait-il de préserver le caractère de victime absolue que la Shoah a conféré à son existence, maintenant ainsi son caractère apolitique, ce qui impliquerait qu’Israël n’est pas un État souverain sui generis alors que c’est la condition de toute souveraineté ? L’histoire de la liquidation des Juifs du monde arabo-musulman confère un sens historique, politique, régional et national, interne au monde arabo-musulman, à l’histoire de ces mêmes Juifs, devenus majoritaires dans l’Etat d’Israël et donc véritables interlocuteurs des Palestiniens dans la controverse sur le « péché originel ». Eux aussi ont les clés de leurs maisons dont ils ont été chassés, eux aussi ont été spoliés, et infiniment plus que les Palestiniens ! Les revendications des Palestiniens à l’égard d’Israël ne les impressionnent pas, elles renforcent d’autant plus leurs propres revendications politiques, nationales et financières. Ceux qui se voient accusés de colonialisme et de racisme, de « péché originel », sont ceux-là mêmes que le monde arabo-musulman, avec la complicité des Palestiniens, a discriminés, persécutés, chassés de chez eux, et qui ont trouvé en Israël l’occasion de se rétablir.9
Telle est la question fondamentale à poser à la « gauche » du monde juif et plus particulièrement à la gauche israélienne. Je n’aborde pas ici la question à poser à l’Occident (où la Nakba est devenue le certificat de victimisation et de « moralité » de l’antisionisme occidental et de l’islamisme militant, le cheval de Troie moral de l’intervention politique islamique dans les démocraties) et aux Arabes eux-mêmes (bien qu’elle commence maintenant à être posée, semble-t-il, dans les États du Golfe).
L’occultation de ce que je propose d’appeler la » liquidation » (Hisul) du monde sépharade – outre la Shoah et la Nakba, deux termes originaux conservés dans une langue étrangère pour donner à ce qu’ils désignent un caractère mystérieux et impensable – est le résultat d’un refoulement, d’un aveuglement structurel. L’histoire du Hisul remet en effet en cause l’interprétation de la Shoah comme relevant exclusivement de la victimisation, celle que privilégie l’Union européenne, tout comme elle détruit le mythe de la Nakba. Elle ébranle également le postulat moral du postcolonialisme, usufruit tardif des deux récits combinés – tourné, bien sûr, contre Israël, mais surtout contre l’Occident postcolonial. L’Hisul fait voler en éclats la présomption d’innocence du monde arabo-musulman (c’est-à-dire palestinien) et des ex-colonies (à commencer par le fait que le nettoyage ethnique, c’est-à-dire l’expulsion et la persécution de tous leurs Juifs, a constitué les nouveaux États-nations arabes à la suite de leur décolonisation). Elle fait voler en éclats l’interprétation apolitique et victimaire de la Shoah, source implicite des accusations portées en son nom contre Israël (racisme, apartheid, nazisme).
Que d’univers complexes se cachent derrière ces mots.
Notes
- Cet article est basé sur une présentation sur Radio J le 24 mai 2019, et sur des informations sur Menora.info.
- Le Mandat devait être une « Palestine éventuelle », qui ne serait pas une « patrie juive » officielle, mais « palestinienne ». L’article 2 du mandat ne fait référence qu’à l’égalité des droits de toutes les populations de Palestine, sans distinction de race ou de religion.
- Pourtant, le « lobby des droits de l’homme » progressiste ( !) estime que cet État devrait disparaître, englouti dans la Palestine.
- C’est d’ailleurs une caractérisation possible de ces territoires car ils ont longtemps été sous la domination des empires musulmans puis occidentaux. Mais ces empires n’existent plus et, de plus, il n’y a jamais eu d’entité palestinienne. Par conséquent, la notion de « restitution » de ces territoires est également un mensonge flagrant.
- Selon ce principe, les populations vaincues qui ne veulent pas devenir musulmanes perdent leur droit à la terre et deviennent des métayers soumis à l’impôt kharadj payé à l’occupant islamique.
- Tout cela peut être vérifié dans le pacte national palestinien, dans les déclarations palestiniennes et dans les efforts pour formuler une constitution pour un futur État.
- Les exemples sont innombrables, jusqu’à aujourd’hui.
- Ces idéologies sont promues par les « idiots utiles » du « progressisme » contemporain.
- Cf. Shmuel Trigano, La fin du judaïsme en terre d’Islam (Paris : Denoël, 2009).
- Les Etats arabes responsables de la guerre et de la défaite de 1948 ont assigné les réfugiés palestiniens de cette guerre dans des camps au lieu de les intégrer. La comparaison entre les réfugiés juifs (du monde arabe) et les réfugiés palestiniens est tout à fait justifiée. Les deux populations sont issues du même monde (celui des entités qui ont succédé à l’Empire ottoman). Il n’y avait alors ni État palestinien ni État juif ; les États arabes eux-mêmes ont été créés très récemment. Ces deux populations sont donc comparables, de même statut. Les Juifs du monde arabo-musulman qui se sont réfugiés en Israël se sont engagés dans un processus d’autodétermination par rapport à de nouveaux États arabes qui se sont révélés incapables de leur offrir la citoyenneté et l’égalité. L’échange de population a eu lieu à un moment où de tels échanges constituaient un phénomène international majeur dans le sillage de la défaite nazie, y compris les échanges massifs de population entre Grecs et Turcs, Indiens et Pakistanais, etc. Il n’existe pas de « droit au retour » pour ces populations et leur statut de « réfugiés » n’est pas héréditaire comme dans la doctrine palestinienne.