La communauté juive tunisienne pourrait se voir dépouiller d’une partie de son patrimoine. L’État entend mettre la main sur le plus grand cimetière juif du Maghreb, et Une ONG juive se mobilise depuis Paris pour sauver ce lieu qui honore les tombes de Grands Rabbins vénérés.

Le gouvernement tunisien veut ressusciter un plan controversé, en étude depuis quelques années, pour confisquer le Borgel ce cimetière juif qui existe depuis 1893, dont la valeur foncière s’élève à 35 millions d’euros.

La résurgence de cette mesure entraîne, chez de nombreux Juifs tunisiens des angoisses tous ayant en mémoire l’expropriation forcée de l’ancien cimetière israélite de Tunis (dit du « Passage ») en 1958 et les violences antisémites dont la profanation de la Grande synagogue en juin 1967.

Le terrain, qui reste à ce jour la propriété de la communauté juive de Tunis, pourrait être exproprier sans que cette fois-ci aucun programme d’urbanisme vient justifier. Le Gouvernement désire désaffecter ce vaste terrain qui gêne en partie l’expansion de la ville de Tunis.

Le projet de raser l’ancien cimetière juif de Borgel n’est pas nouveau ; il avait déjà été envisagé à plusieurs reprises, avant 2010 sans toutefois avoir jamais abouti. 

Il ne s’agissait pas d’une manifestation antisémite, mais bien d’une opération destinée à vendre ce terrain à des promoteurs immobiliers locaux ou étrangers. Ce projet intervient cependant dans une période de fort sentiment anti-israélien en Tunisie. 

Ce cimetière juif regroupe plus de 22 000 tombes réparties sur 24 carrés portant les noms de personnalités célèbres, dont celles de plusieurs grands-rabbins. Des tombes des Hakhamim (sages ou « saints ») seraient concernées par cette mesure d’expropriation. Quelques 183 Rabbins reposent au Borgel.

Le cimetière dans sa partie Est, qui longeait L’avenue Kheireddine-Pacha, regroupe les tombes de l’ancien cimetière juif qui occupait l’emplacement de l’actuel jardin Habib-Thameur avant l’indépendance. Il accueil aussi un monument en mémoire des Juifs morts sous l’occupation de la Tunisie par les troupes de l’Axe (inauguré en avril 1948).  Plusieurs militaires juifs sont enterrés au cimetière du Borgel.

Ni le consulat français, qui ne peut exercer de droit d’ingérence dans les décisions d’une ville étrangère, ni la communauté juive sur place, numériquement faible, n’est en mesure de s’opposer au projet.

La communauté juive tunisienne pourrait toutefois se référer au Consistoire central à Paris qui pourra demander, au gouvernement tunisien, de repousser cette expropriation pour quelques années et d’organiser au mieux le transfert des sépultures selon les exigences religieuses appropriées.

Le gouvernent tunisien n’a aucun plan pour le moment pour informer les familles du sort réservé à leurs tombes. Celles-ci pouvaient demander à faire rapatrier les corps et laisser au Consistoire central le soin d’organiser une nouvelle inhumation religieuse.

Dès lors l’affaire réveille au sein de la communauté juive tunisienne de multiples angoisses alors que tout ce qui touchait les juifs dans ce pays est recouvert par les autorités publiques de l’épais silence que l’on sait.

D’un point de vue religieux, raser une tombe sans déplacer les corps signifie compromettre les résurrections. Il faut normalement, pour les autorités religieuses juives, d’exhumer les corps et de les inhumer de nouveau, dans leur intégrité, en conformité avec les rites funéraires. Ces opérations requièrent normalement la présence d’un rabbin qui réciterait les prières mortuaires.

Avec le plus grand soin, le Consistoire central pourra veiller au respect des rites, et une fois qu’il sera assuré que la municipalité de Tunis accepte le déplacement des corps et non la simple destruction des tombes, il sera possible de rapatrier les corps en Terre sainte (seule possibilité autorisée par la religion). Le rapatriement de tombes est toutefois une opération onéreuse.

De plus, la possibilité de transport des corps vers Eretz Yisrael, sera considéré comme un acte « sioniste » par le gouvernent tunisien.

Le projet de cette expropriation est une affaire qui vient amplifier les nombreuses constatations qui assuraient, depuis les départs président Ben Ali, que les cimetières juifs sont peu entretenus, voire qu’ils sont régulièrement profanés. Pour certains, cette expropriation est perçue comme une tentative supplémentaire du nouveau pouvoir d’effacer la culture juive de la terre tunisienne.

Sur les réseaux sociaux se lisait, depuis quelques jours, la colère légitime des familles contre ce qui est unanimement jugé comme « une mesure barbare » de la part de la ville Tunis mais dans lesquelles s’affirmait aussi la crainte de voir définitivement disparaître le patrimoine  de la Communauté Israélite de Tunisie.

« Je dirai que ce sera la goutte d’eau qui fera déborder la vase pour la communauté juive restante et la communauté tune à l’étranger. Et je suis bien placé pour dire que si l’on touche au Borgel, c’est pour effacer définitivement l’histoire des juifs de Tunis. Chaque tombe du Borgel est une page du livre d’histoire de la communauté juive de Tunis qui remonte a 1890, il faut dire que le tome 1 de cette histoire a déjà été effacé en 1956 au cimetière juif de Passage ou de l’Avenue de Londres » écrit Jo Krief, un natif de Tunisie et membre du CONSEIL d’ADMINISTRATION de l’Association Internationale du Cimetière juif de Tunis « Le Borgel » A.I.C.J.T

De leur côté, les Juifs vivant toujours en Tunisie sont inquiets. Ils sentent leur communauté menacée d’extinction par de nouveaux départs depuis 2010 ainsi que par la volonté, à peine dissimulée, du gouvernement tunisien de récupérer les biens communautaires.

Une loi voter en catimini.

La question des biens communautaires prit un tournant plus politique encore lorsque, le 11 juillet 2016 le Parlement tunisien a voté une loi permettant les expropriations pour « utilité publique ». Cette loi (53/2016 du 11/07/2016) a été promulguée au journal officiel JORT du 29/07/2016.

En plein cœur de l’été, et le plus discrètement possible promulguée deux jours avant la démission du Premier ministre. Et cerise sur le gâteau : publiée uniquement en langue arabe alors qu’il est d’usage en Tunisie que les textes transcrits au JORT le soient en français et en arabe.

L’opération de récupération du terrain du cimetière juif de Borgel pourrait donc se faire le plus discrètement possible sur la base de cette nouvelle loi controversée et qui a été votée en catimini.

Que dit cette loi? L’Etat pourra exproprier pour raison d’utilité publique tous les biens qu’il jugera utile. Pour des projets économiques ou d’aménagement du territoire ou liés à des impératifs de sécurité. Une utilité publique très large.

S’agissant d’immeubles en ruine menaçant sérieusement la sécurité de riverains on peut parfaitement le comprendre la raison.

En revanche, lorsque-il s’agira d’exproprier un terrain ou un cimetière au cœur d’une ville, pour permettre ensuite d’organiser une revente à un promoteur « ami », c’est plus contestable, car cela est considéré comme une opération de spoliation de grande ampleur.

De plus la municipalité de Tunis (où ne siège aucun Israélite) pourrait ne par tenir compte des coutumes et traditions juives lors de l’inhumation.

Une ONG juive se mobilise depuis Paris

L’ Association Internationale du Cimetière juif de Tunis « Le Borgel » A.I.C.J.T ne va pas rester les bas croisés. Elle compte interpeller les parlementaires pour que ceux-ci fassent pression sur le gouvernement français : une intervention du Quai d’Orsay auprès des autorités tunisiennes est possible et donnera des résultats.

A.I.C.J.T est chargée de protéger le cimetière et la sauvegarde du patrimoine religieux de la communauté. Cette ONG a été créé non pour concurrencer les autorités locales de la communauté juive de Tunisie, mais pour mieux imposer, d’un point de vue cultuel, les vues de la communauté juive tunisienne de l’étranger dans les discussions à venir entre le grand rabbin de Tunisie et la municipalité de Tunis au sujet du cimetière qui est actuellement en voie de dégradation.

De fait les relations entre les deux structures sont tendues et vont en se complexer. Les membres de la communauté juive présents à Tunis refusent de reconnaître une quelconque autorité à l’ A.I.C.J.T .

L’affaire était d’autant plus compliquée que l’Association Internationale du Cimetière juif de Tunis « Le Borgel » A.I.C.J.T avait pris l’initiative d’organiser, le 24 févier 2020, à Paris une conférence sur le patrimoine en péril de la communauté.

L’affaire du cimetière révèle la fragilité et la vulnérabilité des Juifs tunisiens, qui ne peuvent ni s’opposer aux décisions de la municipalité de démolir ou de s’approprier son patrimoine, ni s’organiser entre eux pour essayer de contrecarrer de tels projets.

L’ A.I.C.J.T lance déjà une compagne au sein de la diaspora pour payer l’entretien du cimetière et des sépultures.

Jo Krief rappelle que le coût préliminaire de la rénovation la plus urgente du Cimetière du Borgel est près de 30,000 euros et Aldo Sitbon, le Trésorier de l’ A.I.C.J.T, signale qu’il y a actuellement 5 400 euros de dons en caisse.

Les autres membres du comité de AICJT (Odile Maarek , Pierre Mamou , Bernard Allali, Guy Azria,) qui sont aussi membres du CA, signalent les difficultés actuelles du cimetière du Borgel et ils demandent d’obtenir des soutiens en faveur de la sauvegarde et de préservation de cette nécropole.

Une Conférence à la Maison de l’Italie « L’Italiano di Tunisi » est prévue par Sonia et Renato Gallico) le 12 Mars 2020, pour soutenir les efforts de financement.

Il y a aussi un projet de publication par AICJT d’un document sur les 183 Rabbins qui reposent au Borgel avec l’aide de Rolland Fellous.

Mais le plus grand problème, outre le financement, est que la communauté juive tunisienne reste diviser désormais entre une petite communauté locale qui ne peut pas affronter directement le régime tunisien et une communauté en diaspora qui n’avait pas gardé de liens étroits avec ses coreligionnaires.

Au cours de la guerre de 1967, les Juifs tunisiens ont emprunté de façon irréversible les chemins de l’exode. Ces départs avaient non seulement leurs racines dans le long processus de francisation des communautés juives engagé depuis le milieu du XIXe siècle, mais trouvaient aussi leur justification conjoncturelle dans la violence antisémite de la rue musulmane.

Souhail Ftouh

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