Dans une décision récente la Haute Cour de justice a statué que les femmes peuvent siéger au conseil supérieur du Grand Rabbinat et être « rabbins » au sein de l’assemblée qui élit les grands rabbins d’Israël et statuer sur les questions de halakha, ou de la Aggada (ensemble des règles conformes à la loi juive).

La cour a statué que, dans le contexte de cette assemblée, le terme « rabbin » s’applique non seulement aux titulaires nommés par le Grand Rabbinat orthodoxe, qui ne le confère qu’aux hommes, mais aussi à des individus, y compris des femmes, ayant des connaissances en matière de Torah et de halakha, le code juridique juif, comparables à celles des hommes.

Chaïm Saiman, professeur de droit à l’université de Villanova, qui étudie la loi juive orthodoxe – ou halakha estime que la décision revêt une importance dans les relations tendues entre l’autorité religieuse conservatrice et ses partisans, et la cour plus libérale et orientée vers la laïcité.

Selon la décision, adoptée par un panel de trois juges avec une opinion dissidente, les femmes et d’autres personnes que le Rabbinat ne reconnaît pas en tant que rabbins peuvent néanmoins être nommés pour occuper la place d’un « rabbin » au sein de l’Assemblée d’élection du Grand Rabbin.

Dans les faits, les femmes peuvent désormais également siéger au Conseil supérieur du Grand Rabbinat, un organe de gouvernance composé de 10 rabbins agissant comme instance d’arbitrage ultime dans toutes les questions de halakha et liées au Rabbinat.

Le Conseil ne compte actuellement aucune femme parmi ses membres. Les femmes sont sous-représentées dans l’Assemblée d’élection, mais elles représentent environ 10 % de ses 150 membres, selon un essai de 2021 du Centre Rackman de l’université Bar-Ilan, qui promeut le statut des femmes dans les questions de droit de la famille et qui a déposé la pétition sur laquelle la Haute Cour a statué dimanche.

Selon une loi de 1980, l’assemblée est composée de deux catégories de représentants : les « rabbins », qui sont tous des hommes parce que le terme a été traité comme se rapportant à la définition orthodoxe qui exclut les femmes, et les « représentants publics », qui comprennent toutes les femmes de l’Assemblée. Dans sa pétition, le Centre Rackman a soutenu que les femmes devraient être autorisées à siéger à l’Assemblée non seulement dans la catégorie « représentant public » – qui représente 70 des 150 délégués de l’Assemblée – mais aussi en tant que « rabbins ».

La juge Daphné Barak-Erez a écrit dans son avis que « la révolution dans les études de la Torah par les femmes signifie qu’aujourd’hui, de nombreuses femmes ont une instruction en Torah comparable à celle des hommes certifiés rabbins. Certaines de ces femmes exercent des fonctions rabbiniques dans leurs communautés. Je crois que l’interprétation du mot ‘rabbins’ devrait refléter cette réalité. »

Barak-Erez a noté qu’une compréhension historiquement archaïque du mot « rabbin » signifie simplement un enseignant.

Le juge Isaac Amit a également statué en faveur de la requête.

Dans son avis dissident, le juge David Mintz a écrit qu’il rejetait la requête parce que « le point de départ est que cette cour ne porte pas la casquette du Grand Rabbinat, qui détient l’autorité halachique ultime. »

Le Centre Rackman, un groupe féministe orthodoxe, a célébré la décision comme « un développement important ». Kolech a qualifié, dans un communiqué, la décision de « correction nécessaire pour l’État d’Israël, où les étudiantes sont des partenaires à part entière dans la diffusion et la promotion de l’enseignement de la Torah, et il n’y a aucune raison pour qu’elles soient privées de la possibilité d’élire les représentants des fonctionnaires publics occupant une position dont l’essence est l’unité. »

Cependant, des critiques ont dénoncé cette décision comme une ingérence excessive d’une cour qu’ils accusent de violer régulièrement des lois démocratiquement adoptées et d’autres dispositions dans le but d’imposer un programme laïc et libéral.

Ces affirmations sont au cœur du conflit social qui a secoué Israël pendant la majeure partie de l’année 2023 lors de la refonte judiciaire du gouvernement, avant que cette question ne soit reléguée au second plan par l’offensive du Hamas contre Israël le 7 octobre.

« Encore une intervention agressive et une interprétation déformée par la Haute Cour de justice », a écrit Shimon Shmueli, avocat et trésorier du Conseil religieux de Bat Yam sur X (anciennement Twitter) « La lettre de la loi dit explicitement, à l’article 7(8), que les nommés sont des ‘rabbins’. Mais ils [les juges de la cour] tordent le livre de loi comme bon leur semble. »

Loi juive et égalité des sexes 

Les représentants de l’orthodoxie en Israël affirment que le rôle de la femme dans le judaïsme est éminent et nullement inférieur à celui des hommes. Mais il est différent, expliquent-ils, et réclamer l’égalité sèmerait une confusion nocive pour l’avenir de la famille juive. Certaines polémiques, dont la très médiatisée affaire des « femmes du Mur » occidental en Israël, nous rappellent ce débat houleux. Des voix s’élèvent dans l’Etat hébreu comme en diaspora en faveur d’une plus grande égalité entre les sexes dans la vie religieuse.

En réalité, ces revendications ne sont pas nouvelles : les courants réformé (ou libéral) et conservateur (« massorti ») ont modifié le statut de la femme dans l’exercice du culte depuis le milieu du 19ème siècle. Or, ces courants sont majoritaires aux Etats-Unis et progressent ailleurs, y compris en Israel. A l’intérieur même de l’orthodoxie américaine et israélienne, des groupes féministes émergent ici ou là.

Ce qui frappe les esprits est la réaction très vive de la fraction la plus inébranlable du rabbinat traditionnel, séfarade et surtout ashkénaze, face à ces évolutions. La crispation doit se mesurer à l’aune de la peur qui envahit les adversaires du changement : d’aucuns ont le sentiment qu’en accordant aux femmes des droits et prérogatives contraires aux coutumes qui ont présidé à l’existence juive pendant des millénaires, c’est la Torah qui serait menacée et les fameux 613 commandements sacrés remis en cause.

Dans le judaïsme on conçoit fort bien une évolution de la femme de son rôle social au fil des âges. A l’époque du Talmud, de Maïmonide, les épouses sortaient peu – et encore était-ce, en général, pour rendre visite aux malades. Les multiples incapacités cultuelles et juridiques de la femme juive orthodoxe sont de plus en plus rares. Il est plus difficile de justifier l’inégalité car aujourd’hui le judaïsme véhicule une vision extrêmement moderne et quasi-féministe. La femme juive reste dispensée de nombreuses mitzvoth (commandements), notamment dans l’espace synagogal.

Cette vision des choses est portée en étendard par les gardiens de la tradition pour démontrer que les interdictions dénoncées par les réformateurs sont en réalité la conséquence d’une forme de supériorité spirituelle de la femme. 

La femme juive porterait en elle, naturellement, les préceptes de la Torah auxquels elle se conformerait spontanément, contrairement à l’homme, dont le caractère plus faible nécessiterait des « piqûres de rappel » constantes sous formes d’étude, de prières et d’obligations cultuelles diverses.

 Historiquement, la réinterprétation a toujours été au centre du judaïsme. Dès les années 1840, en Allemagne, les premiers libéraux ont réformé le statut cultuel de la femme.

A la fin du 19e siècle, cet esprit novateur s’est répandu aux Etats-Unis. Des femmes ont pu siéger aux conseils d’administration de synagogues à partir de 1892 et devenir rabbins après 1922.

Aujourd’hui, la plupart des lieux de culte libéraux et du courant « massorti » dans le monde observent une égalité complète entre les sexes.

Entre-temps, des franges de l’orthodoxie évoluent aussi. En 1998, un groupe de femmes appartenant à cette mouvance a fondé à Jérusalem le Forum Kolech, qui réfléchit à l’« inadéquation » de pratiques jugées archaïques, discriminatoires et à leur avis non obligatoires selon l’esprit et la lettre de la Halakha.

L’association JOFA, outre-Atlantique, poursuit le même objectif et distribue chaque semaine un journal contenant des tribunes et commentaires talmudiques d’inspiration féministe dans des dizaines de synagogues orthodoxes.

Souhail Ftouh

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